Templeton, Starewitch : zoogénies - Thierry Méranger - Les Cahiers du Cinéma n°648, septembre 2009

[…] Nous ne reproduisons que la partie de l'article qui concerne L. Starewitch.

Hommage au maître

   La modernité hybride de Pierre et le loup, comme l’actualité festivalière nous permet de la souligner, n’efface pas la dette implicite de Suzie Templeton à l’égard de la figure tutélaire de Ladislas Starewitch (1882-1965). La cinéaste britannique a effectué plusieurs visites dans une réserve animalière avant de se lancer dans son travail. Ce n’est pas indifférent : pour elle comme pour le maître d’origine polonaise qui réalisa en 1930 Le Roman de Renard, premier long métrage d’animation en volume, un loup est d’abord un loup, fût-il réduit à une marionnette de quelques dizaines de centimètres. L’hommage en vingt et un titres ingénieusement proposés à La Rochelle début juillet ne s’est donc pas contenté de réparer une lacune criante – la dernière rétrospective française avait été présenté à Annecy… il y a dix-huit ans – mais a légitimement permis de remettre les horloges magiques à l’heure.

   Les programmateurs rochelais avec la complicité de Léona-Béatrice Martin-Starewitch et François Martin, héritiers du cinéaste, ont présenté quotidiennement deux courts de marionnettes de 1932, Le Lion et le Moucheron et Le Lion devenu vieux, dans une salle du Museum d’histoire naturelle local. Intuition essentielle car Starewitch n’est pas tant créateur de tonns qu’entomologiste, zoologue et taxidermiste. Son bestiaire, plus souvent effrayant qu’enjôleur, n’existe finalement qu’au mépris de l’anthropomorphisme – essentiellement réduit à quelques ajouts vestimentaires. Le naturalisme de l’animateur repose donc essentiellement sur le vertige de la naturalisation. Le topos est, bien sûr, éminemment fantastique. Les bestioles de plumes et de poils semblent toujours camper sur la frontière de la vie et de la mort, révélant plus souvent qu’à leur tour, à travers le fantasme récurrent de l’éventration, les matériaux qui les constituent. Svankmajer, parmi d’autres, retiendra la leçon en exhibant la paille et le sable de ses créatures.

   Starewitch, sous couvert de farces burlesques, met logiquement en scène des créatures diaboliques et difformes (L’Epouvantail, 1921 ; Gueule de bois, 1954) qui semblent autoriser le va-et-vient entre l’animation et le réel. Il est facile de relever aujourd’hui, à la faveur des séances rochelaises, ce que lui ont emprunté les monstres modelés de Ray Harryhausen ou du couple Burton-Selick (voir ce que le filiforme Mr Jack doit à Dans les Griffes de l’araignée, 1920). Autre mirage récurrent de Starewitch, le thème du réveil des jouets, en apparence plus mineur, s’avère tout aussi fondateur. En témoignent, d’une extrémité à l’autre de l’œuvre, des titres aussi différents que Le Mariage de Babylas (1921) et La Petite Parade (1928), auxquels on pourrait ajouter, dans la série des Fétiche, inaugurée par le prodigieux et composite Fétiche Mascotte (1933), le remarquable Fétiche Prestidigitateur (1934). Est-il besoin de rappeler dès lors que Toy Story de John Lasseter deviendra soixante ans plus tard l’emblème de Pixar et le premier long métrage en image de synthèse. Un dernier point, sonore, témoigne d’un autre aspect précurseur de l’art de Starewitch. Alors que les œuvres muettes appellent de toute évidence un accompagnement musical – prodigué avec bonheur à La Rochelle par le piano de Jacques Cambra - , les premières expériences de mise en son convainquent le cinéaste, dans Le Lion et le Moucheron, de l’opportunité d’attribuer un thème différent à chaque personnage. Prokofiev ne fera rien d’autre, quatre ans plus tard, en composant Pierre et le loup.

Thierry Méranger