Questions pour la préparation d’un documentaire sur L. Starewitch par la chaîne russe : TV channel “Culture”

Septembre 2008 : Questions pour la préparation d’un documentaire sur la vie et l’oeuvre de Ladislas Starewitch par la chaîne de Télévision russe : TV channel “Culture”

Durée : 39 minutes, Marina Drozdova,Commissioning editor in chief, Documentary department; Russian State TV channel CULTURE, Moscow, Malaja Nikitskaja, 24,

- A quoi L. Starewitch faisait-il le plus de confiance, aux fantasmes ou à la réalité ?

   Ce qui a intéressé  L. Starewitch est surtout l’effet cinématographique. Il raconte lui-même que quand il a adapté La Nuit de Noël de Gogol il a lu le livre et il a souligné de couleurs différentes le texte selon les effets cinématographiques qu’il pouvait en tirer. Son but n’est pas l’adaptation fidèle d’un texte, mais d’utiliser un langage nouveau que permet le cinéma. C’est pourquoi il a, dès le début, créé et utilisé des « effets spéciaux ». Il y a donc dans ses films des vues réalistes et des vues fantastiques mais c’est l’effet produit sur le spectateur qui l’intéresse.
  L. Starewitch a procédé de même pour le scénario du Roman de Renard. Nous avons un texte qu’il a lui-même souligné de différentes couleurs en sélectionnant les passages qui permettaient des effets cinématographiques.
   Il a aussi utilisé cette relation entre le fantasme, le rêve plutôt, et la réalité dans plusieurs de ses films (La Reine des papillons, Fétiche prestidigitateur par exemple). Le film commence par un petit préambule où l’on voit un enfant qui progressivement s’endort et commence à rêver. Au cours du rêve, L. Starewitch utilise tous ses procédés d’animation et d’effets spéciaux, puis l’enfant se réveille et on revient à la réalité. On trouve le même décalage entre la réalité et une histoire fantastique dans Le Roman de Renard par l’intermédiaire du singe qui tourne le projecteur au début et à la fin du film.
   Le rêve permet aussi une sorte de métaphore qui parle de la réalité.

- Pourquoi faisait-il tout par lui-même? Pourquoi la méthode de la distribution des forces lui était étrangère ? Que craignait-il de perdre en le faisant ?
   A ses débuts, c’est un autodidacte et un bricoleur qui travaille de façon isolée. Puis il a pris l’habitude de tout faire lui-même pour les films d’animation. Cela lui permet de mieux contrôler toutes les étapes de son travail de création. Au début des années 1930 quand il est à l’apogée de son succès, il a reçu des propositions pour aller travailler aux Etats-Unis d’Amérique avec la promesse qu’il aurait à sa disposition tous les collaborateurs qu’il souhaitait pour réaliser plus de films (cf : l’évolution des studios Disney dans les années 1930). Mais il a refusé en affirmant qu’il risquait de perdre son âme.
   D’un autre côté quand il a tourné des films avec acteurs en Russie vers 1912-13, il a accepté un travail d’équipe avec tous les métiers du cinéma : des scénaristes, des décorateurs, des éclairagistes…

- Quelle culture est plus proche à lui - polonaise, russe, française, ou c'est la figure polynationale, au-dessus de culture ?
   L. Starewitch est imprégné de toutes ces cultures, il faut ajouter la Lituanie aussi puisqu’il a passé son enfance à Kovno où il tourne son premier film. Mais c’est bien la figure polynationale ou multiculturelle qui domine englobant tout l’espace culturel de l’Europe centrale surtout.
   L. Starewitch lui-même parlait le russe, le polonais et le français mais sa langue usuelle est restée le russe.

- Pourquoi à la fin de sa vie il n'a pas créé d'école ou n'est pas allé enseigner comme tout le monde?
   C’est difficile à dire. Il y a plusieurs explications possibles.
  C’est avant tout la réalisation qui l’intéresse jusqu’à la fin de sa vie. Il a toujours eu des projets et son décès laisse encore un film inachevé.
   Dans les années 1950, l’animation n’était pas très en vogue, les premières journées de l’animation sont créées en 1956 (ce qui va devenir le Festival d’Annecy) et les initiateurs sont en rupture avec ce que représente les films que L. Starewitch propose dans ces années 1950. Ses chefs-d’œuvre de l’entre-deux-guerres ont disparu des écrans et sont inconnus.
   Par contre des réalisateurs russe ou japonais sont venus le visiter.

- Pourquoi sa fille avait-elle le surnom de "Irina Star"?
   L. Starewitch a eu deux filles Irène et Jeanne.
  Irène est devenue à partir des années 1920 la collaboratrice de son père. Elle a joué un rôle dans Le Lys de Belgique.
   Jeanne, sous le diminutif de Nina, a joué dans plusieurs films au cours des années 1920 en adoptant le nom de Nina Star. Star est un diminutif de Starewitch et, sans doute, un clin d’œil au cinéma américain et son « star » système.
   Irina Star n’existe pas, c’est Nina Star.

- Qu’est-ce que Starewitch a reçu comme cadeau de Hanzhonkov - un médaillon en or avec Pegasus ou une voiture - l'une des premières à Moscou?
   L. Starewitch dit qu’il a reçu un médaillon en or représentant Pégase.

- Dans quelle mesure le cinéma français de début du 20 ème siècle a influencé la décision de Starewitch de faire des films ?
   Quand L. Starewitch a voulu filmer le combat des Lucanus-cervus vivants et que ceux-ci se figeaient sous les projecteurs il a eu l’idée d’utiliser des Lucanus Cervus naturalisés en consolidant les articulations des pattes. Cette idée lui est venue de deux influences. D’un côté les folioscopes (flip-books) qu’il connaissait qui lui ont donné l’idée de tourner un film image par image, et d’un autre côté il avait déjà vu des films au cinéma et notamment un film d’Emile Cohl dans lequel des allumettes se rangeaient toutes seules dans une boite. Il s’agit très certainement du film Les Allumettes animées réalisé en novembre 1908. Jean Mitry évoque Les frères Boutdebois, mais c’est un film avec des marionnettes en bois et non des allumettes.
   Plus que le cinéma français dans son ensemble, c’est ce film d’Emile Cohl qui aurait influencé la décision de L. Starewitch de faire des films.

- Quand Khanzhonkov a t-il invité Starewitch à Moscou pour un emploi permanent : avant son premier film “Sur le Neman "- ou après le succès de “Belle Loukanide "?
   Il y a plusieurs récits de la façon dont  les deux hommes se sont rencontrés. Si c’est A. Khanjonkov qui a invité L. Starewitch à Moscou (version que reprend Wl. Jewsiewicki, c’est à la suite de la notoriété que ce dernier a acquise après Lucanus cervus et La Belle Lucanide. Mais L. Starewitch a une autre version de leur rencontre. Il dit qu’étant à la recherche de matériel pour tourner ses premiers films, il est allé à Moscou où il a été mal accueilli par les représentants de Pathé et Gaumont. Il s’est alors tourné vers A. Khanjonkov qui lui a cédé une caméra et de la pellicule avec laquelle L. Starewitch tourne Sur le Niemen, Lucanus cervus et La Belle Lucanide. C’est à la suite de ces films, selon L. Starewitch, que A. Khanjonkov lui a proposé un contrat et un studio à Moscou.

- Khanzhonkov a écrit dans ses mémoires que Starewitch avait essayé de filmer les tetrads  sous l'eau - la caméra a été  dans une boîte étanche, et que cette expérience aurait donné à Starevich l’idée d’animation de volume... Est-ce que c’est vrai ?
   Pour décrire la façon dont il s’est lancé dans le cinéma image par image, L. Starewitch a toujours affirmé la même chose : comme il était passionné d’entomologie, il a voulu reproduire un combat entre des Lucanus Cervus. Il a donc créé une arène dans laquelle il a placé deux animaux vivants en les excitant pour qu’ils se battent. Mais dès qu’il allumait les projecteurs, les animaux se figeaient totalement d’où l’idée de faire un film image par image (voir la réponse précédente mentionnant les folioscopes et E. Cohl).
   Le matériel cinématographique venait très certainement de Khanjonkov (voir la réponse précédente) mais L. Starewitch n’a jamais mentionné sa réalisation d’images sous l’eau.
   Au long de sa carrière il a reproduit avec des trucages les effets des images sous l’eau mais il n’a pas lui-même, à ma connaissance, réalisé d’image sous l’eau en milieu naturel.

- Quel est le premier dessin animé de Starewitch  “La bataille des scarabée” (1910) ou “La belle Loukanide” (1912) ?
   Ces deux films sont de 1910, le premier des deux est La Bataille des Lucanus cervus. L. Starewitch utilise dans ce film des Lucanus cervus et non des scarabées, il existe encore un photogramme de ce film appelé plus couramment Lucanus cervus. Ces deux films ne sont pas des dessins animés mais des films avec des marionnettes animées, ce que L. Starewitch appelait des ciné-marionnettes. L. Starewitch aurait réalisé un seul dessin animé Pégase et le coq, d’après Wl. Jewsiewicki. Mais nous n’avons pas trouvé trace de ce dessin animé ailleurs que dans le livre de Wl. Jewsiewicki, les archives laissées par L. Starewitch ne le mentionnent pas.

- Pour quelles raison a-t-il quitté la compagnie cinématographique de Khanzhonkov ?
   L. Starewitch était très content de travailler avec A. Khanjonkov. Mais il a préféré encore davantage être son propre patron c’est pourquoi il a fondé son propre studio au cours de l’hiver 1914 (fin 1913 – début 1914). Les deux hommes sont restés en très bons termes et ont à nouveau travaillé ensemble en 1918 à Yalta.

- A quel point peut-on faire confiance au livre de Vladislav Evsevitskiy "Esope 20 e siècle» à propos de la biographie et les oeuvres de Ladislas Starewitch ?

   Je connais le livre de Wl. Jewsiewicki que nous avons fait traduire en français. Il est de mon point de vue très inégal.
   La connaissance que j’ai de L. Starewitch et de son œuvre vient de nombreuses conversations avec ses deux filles, Irène et Nina, et avec sa petite fille, Béatrice, qui a vécu une dizaine d’années avec son grand-père. Je connais aussi tous les films conservés et toutes les archives laissées par L. Starewitch et celles qu’on peut trouver dans des bibliothèques à Paris.
   Wl. Jewsiewicki a eu accès à des archives russes ou polonaises que je ne connais pas, mais il apparaît qu’il n’a pas vu les films de L. Starewitch ou très peu. Il a par contre rencontré L. Starewitch à la fin des années 1950 et correspondu avec lui en posant quelques questions.
   Je suis frappé par toutes les précisions que le livre de Wl. Jewsiewicki contient surtout pour la période russe. Mais je constate que pour la partie française certaines dates que je peux vérifier sont inexactes (la première projection de Reineke Fuchs à Berlin, ou même la date du décès de L. Starewitch).  Sinon beaucoup de propos de Wl. Jewsiewicki reprennent une sorte de tradition familiale que l’on retrouvait dans les propos d’Irène et de Nina et qu’on retrouve aussi dans les archives existantes.

P.S. J’utilise pour écrire le nom de Ladislas Starewitch l’orthographe qu’il a utilisée lui-même à partir de son arrivée en France : Starewitch.

                                                                                              F. Martin.