Ladislas Starewitch évacué du film documentaire « King Kong, le cœur des ténèbres » de Laurent Herbiet
La chaine Arte propose un documentaire de Laurent Herbiet King Kong, le cœur des ténèbres présenté ainsi : « Triomphe américain de l’année 1933, "King Kong" s’imposera comme un jalon de l’histoire du cinéma. Récit de la genèse d’un film mythique, fruit de l’imagination d’un trio visionnaire » et disponible sur Arte.tv jusqu’au 9 décembre 2025
Avec une telle annonce on s’attend à voir L. Starewitch qui est un des grands maîtres du Stop Motion dès les années 1910, et bien connu dans les années 1920 en France et dans le monde, notamment aux E.U.A. Ceci d’autant qu’une des scènes les plus connues de ce film, Fray Way s’agitant dans la main de King Kong, fait directement écho à un trucage déjà réalisé par L. Starewitch quelques années auparavant dans L’Horloge magique, Nina s’agite dans la main du monstre de la forêt. Eh bien non !
Le documentaire King Kong au cœur des ténèbres explique, entre autres, comment l’idée vient aux producteurs de recourir à une maquette, une marionnette, pour représenter King Kong, d’où le recours à Willis O’Brien qui a déjà réalisé avec succès Le Monde perdu en 1925 pour réaliser ces scènes de Stop Motion. De fait une séquence présente Le Monde perdu, puis on glisse à W. O’Brien – une photo sur laquelle la caméra zoome (31’) – et à un individu, qui pourrait passer pour W. O’Brien mais ce n’est pas lui, animant image par image une petite marionnette, une fourmi, tandis qu’une voix off explique la technique de la prise de vue image par image. Cette séquence est courte, environ une minute (31’-32’).
Rien ne dit qui est cet individu, ni la voix off, ni un quelconque intertitre, ni aucune mention au générique. En fait c’est Ladislas Starewitch !
Assez stupéfait, j’ai interrogé la production pour en savoir davantage et j’ai reçu cette réponse de Marie Baudoin, une des documentalistes ayant participé au documentaire :
« Le producteur du documentaire "King Kong, le coeur des ténèbres" m'a transmis votre courrier. Nous sommes heureux d'apprendre que le film a éveillé votre curiosité.
Le générique d'un documentaire étant assez codifié, nous ne pouvons pas toujours détailler au maximum les crédits des archives. Mais c'est avec plaisir que je me suis replongée dans ce film pour trouver la réponse à votre question.
Ainsi cette archive, conservée chez Gaumont Pathé Archives, est un reportage de 1929 réalisé par Pierre Chenal et qui s'intitule "Paris-Cinéma" (https://gparchives.com/index.php?urlaction=doc&id_doc=275467&rang=6). L'homme sur la vidéo est le réalisateur de films d'animation, Ladislas Starewitch, dans son atelier à Fontenay-sous-Bois : https://fr.wikipedia.org/wiki/Ladislas_Starewitch »
J’ai insisté (sans oser remercier pour le lien vers la page Wikipedia de L. Starewitch), "Paris-Cinéma" de Pierre Chenal ne figurant pas non plus au générique :
« Mais je m'interroge un peu à propos de cette séquence. Ladislas Starewitch était un réalisateur connu à cette époque (1925). Pourquoi est-il présent à l'image sans être nommé, ni présenté. Quelle est sa place dans cette séquence, quel intérêt de la présence de L. Starewitch dans cette séquence par rapport à O'Brien et à King Kong ? »
Et j’ai reçu cette réponse argumentée :
« Vous abordez là un choix de montage et de réalisation, qui n'est pas de mon fait. La séquence présente le travail de Willis O'Brien et de l'animation pas-à-pas (ou stop motion). Les images illustrent le commentaire ; et en l'absence d'images animées de Willis O'Brien, il nous fallait pallier ce manque tout en restant dans le contexte des années 20-30. J'imagine que citer le réalisateur polonais n'était pas pertinent à ce moment-là, et n'aurait fait qu'embrouiller le spectateur avec une information pas directement liée au film. C'est sans doute pour ça que le réalisateur n'a pas souhaité le mentionner, mais cette interprétation n'engage que moi.
On ne peut qu'espérer que Ladislas Starewitch fera un jour l'objet lui aussi d'un documentaire. »
J’ai encore insisté pour savoir si cette réponse pouvait réellement correspondre au choix du réalisateur et j’ai reçu la réponse de Laurent Herbiet lui-même qui est également le scénariste de ce documentaire :
« Tout d’abord merci de l’intérêt porté à notre film.
Pour ce qui est de votre question, je ne peux que m’associer à la réponse que vous a faite Marie Baudouin puisqu’elle résume parfaitement le « pourquoi du comment ».
C’est-à-dire que dans un documentaire sur le film King Kong, Ladislas Starewitch est utilisé comme une sorte de fond d’écran anonyme pour expliquer les principes de base de l’animation image par image sans même être nommé pour ne pas « embrouiller le spectateur avec une information pas directement liée au film ».
Est-ce de l’ignorance, est-ce un déni, une volonté d’invisibiliser ? Cette réponse laisse pantois. Mon dernier courrier à Laurent Herbiet résume le problème :
« En fait j’avais tout de suite identifié Ladislas Starewitch et le film de Pierre Chenal et Jean Mitry, Paris-cinéma. Mais comme cette séquence surprend je souhaitais connaître les raisons de sa présence et votre réponse est un peu celle que j’appréhendais. C’est-à-dire que vous avez invisibilisé un des plus grands réalisateurs de Stop Motion pour le réduire à une sorte de tutoriel. Cela pose différentes questions.
La principale est la relation entre L. Starewitch, W. O’Brien et King Kong. Les premiers films de Stop Motion réalisés par L. Starewitch sont bien antérieurs à ceux de W. O’Brien et il est à peu près certain qu’O’Brien en a eu connaissance. Très vite L. Starewitch a réalisé aussi des films avec acteurs et des films qui mélangeaient acteurs et animation avec de nombreux effets spéciaux. Et il existe des spécialistes qui tracent une généalogie entre L. Starewitch, W. O’Brien et certains successeurs comme Ray Harryhausen en matière d’effets spéciaux. Par exemple dans cet article : Ladislas Starewitch : pionnier des marionnettes et de l'animation en volume – L'Arène d'Airain – les merveilles du cinéma
Il existe également une étude qui compare justement les effets spéciaux réalisés par L. Starewitch dans son film L’Horloge magique, 1928, et ceux réalisés par W. O’Brien dans King Kong : Maria Belodubrovskaya – Understanding the Magic: Special Effects in Ladislas Starewitch’s L'Horloge magique – Ladislas Starewitch
J’ajoute que dans ce film L’Horloge magique, 1928, L. Starewitch réalise déjà un des fameux trucages de King Kong : une actrice vivante (Fray Way) qui s’agite dans la main d’un monstre beaucoup plus grand.
Une autre question évidente et d’une autre nature au vu des images de cette séquence est la finesse et la précision de l’animation de L. Starewitch par rapport à celle d’O’Brien.
Je pense donc que L. Starewitch avait une place bien différente que celle que vous lui attribuez et que son évocation d’une façon appropriée n’aurait pu qu’enrichir le documentaire, sans faire pour autant une histoire ni de L. Starewitch ni des effets spéciaux, dans la mesure où un des grands intérêts de votre documentaire est d’éclairer la genèse de King Kong. Au contraire vous réduisez ce réalisateur à un fond d’écran « contexte des années 20-30 », ce qui est, à mon avis, très malencontreux et on ne peut plus réducteur compte tenu de ce que je viens d’évoquer. »
À ce jour je n’ai reçu aucune réponse !
Reste un documentaire qui en laissant de côté un aspect important de son sujet relève d’une forme de falsification de la réalité et perd largement de son intérêt.
Pour avoir une première mesure de la place de Ladislas Starewitch dans le Stop Motion et dans le cinéma, voir ici, et aussi ici.
François Martin, 22 octobre 2025
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