Dans le film "Eva and the Grasshopper", de Georg Asagaroff, 1927 : de nouvelles séquences tournées par Ladislas Starewitch et restées jusque-là non répertoriées

 

   Dans les différentes filmographies de Ladislas Starewitch que nous avons publiées – dernièrement dans La Filmographie raisonnée de Ladislas Starewitch, 2023, p. 167 – nous avons constamment indiqué la présence du film La Cigale et la fourmi, 1927, comme étant une partie du film Jugend Rausch réalisé par Georg Asagaroff (production U.F.A.) et sorti la même année. Cette affirmation étayée par les documents de L. Starewitch et les coupures de la presse française relatant cette sortie reste vraie. Il s’agit bien d’un « double film » (La Cinématographie française, juillet 1927, voir ci-dessous), présenté à la presse le 20 juin 1927 et sorti en salle en juillet suivant. Ceci en France.
   Au cours de l’année 2024, nous avons demandé aux archives allemandes, détentrices des droits de la U.F.A., à consulter le film de G. Asagaroff. Et nous avons reçu un lien, non pas vers la version allemande ou française, mais, surprise, vers une version anglaise du film intitulée Eva and the Grasshopper (74 minutes) qui ne correspond pas à ce « double film » sorti en France. Il s’agit d’un seul film en vues réelles dans lequel sont insérées de petites séquences d’animation de marionnettes pour lesquelles L. Starewitch est crédité au générique :

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  Il existe donc au moins deux versions de ce film avec trois titres différents : la version française, La Cigale et la fourmi, la version anglaise, Eva and the Grasshopper, la version allemande, Jugend Rausch. À quelle autre ressemble cette dernière ? Ou bien en est-elle à nouveau différente ?
    En tout cas, la version 1927 de La Cigale et la fourmi de L. Starewitch n’est pas intégrée dans ce film, ni en entier, ni en extraits. C’est bien un film différent réalisé et produit par L. Starewitch, ce n’est pas un film pour G. Asagaroff ou la U.F.A.
   Eva and the Grasshopper propose une histoire calquée sur la fable de Jean de La Fontaine : le fils d’un riche patron promis à la Fourmi, est tenté par la Cigale… Cigale qui est tentée par plusieurs hommes en même temps… et finalement il se marie avec la Fourmi (voir ci-dessous – ou bien ici – un résumé plus précis du scénario dans La Cinématographie française déjà cité).
   L. Starewitch est présent de deux façons. La première est directement identifiable : à plusieurs reprises une ou des ciné-marionnettes animées par L. Starewitch (cigales et/ou fourmis) montent le long d’un meuble pour venir contempler une scène de bal (en vues réelles) à travers une vitre.

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   Au premier plan de l’image elles sont au nombre de deux dans la première séquence et entre huit et onze dans les trois dernières. Chaque séquence d’une durée comprise entre 5 à 6 secondes et une quinzaine, propose un spectacle dans le spectacle, une mise en abyme. Il s’agit bien de séquences originales tournées par le réalisateur pour ce film – séquences que nous n’avions pas encore vues.
   D’autre part certaines séquences en vues réelles de G. Asagaroff renvoient directement au film en Stop Motion de L. Starewitch, La Cigale et la fourmi, comme celle où la Cigale colle son visage à une vitre pour regarder l’intérieur éclairé d’une maison avant de tomber dans la neige au milieu des flocons. D’autres font penser au film de L. Starewitch La Reine des papillons tourné juste après La Cigale et la fourmi, par les scènes de manège ou bien la façon dont Eva est coiffée.
   On peut imaginer – les deux hommes s’étaient connus à Moscou – que G. Asagaroff a demandé à L. Starewitch quelques images de marionnettes animées et que de participer à ce film a donné envie à L. Starewitch de tourner un remake de son film de 1912. Qu’en discutant avec G. Asagaroff, L. Starewitch a eu envie de refaire ce film qui l’avait rendu si célèbre à l’époque et de participer à celui de G. Asagaroff. Ou bien qu’en discutant ensemble ils aient eu envie de faire chacun de son côté une adaptation de la fable...  

   Mais, d’une façon plus générale, compte tenu de l’importance des séquences qui font penser à des films de L. Starewitch, et que certaines reprennent des images de la version de 1912 de La Cigale et la fourmi (la cigale qui s’approche de la fenêtre éclairée de l’intérieur, qui ensuite meurt ensevelie sous la neige), ou les images de manège et celles de Nina coiffée avec des perles comme dans La Reine des papillons, on peut penser que c’est L. Starewitch qui a influencé G. Asagaroff qui a réalisé une adaptation à sa manière de la fable de La Fontaine. Il y a aussi cette modernité dans les images en vues réelles (images dédoublées, quadruplées, surimpressions, profondeur de champs…) qu’on trouve aussi dans d’autres films de L. Starewitch déjà à Moscou, comme ce côté très imaginatif qui développe largement dans Eva and the Grasshopper le scénario de Krylov ou de La Fontaine. Il y a bien de la part de G. Asagaroff un hommage rendu à son collègue voire même la reconnaissance d’une certaine influence. Ou bien la main de L. Starewitch dans ce film est-elle plus importante que les simples séquences de ciné-marionnettes ? Il faudrait comparer Eva and the Grasshopper aux autres films de G. Asagaroff, pour établir s’il y a vraiment une influence de L. Starewitch sur ce film qui le distinguerait du reste de sa production.

   De toute façon il y a bien dans cette version anglaise du film de G. Asagaroff des images que L. Starewitch a tournées intentionnellement pour cette occasion et que nous ignorions jusqu’à maintenant.

 

             François Martin, 7 octobre 2025

 

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