Une récente visite au Musée du cinéma de Shanghai et au Festival du Cinéma d’Animation d’Annecy en 2016 enrichissent la réflexion...

...sur Starewitch, son influence et sa place dans l'histoire du cinéma...

   Dans le Musée du Cinéma de Shanghai, en mai 2016, la salle consacrée au cinéma d’animation, une salle très colorée au sein d’un musée très sombre, évoque largement le studio d’animation de Shanghai.

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   Entre autres documents, nous avons vu cette mention du film réalisé par Jin Xi Peacock Princess, d’après un scénario de Jin Xi et Jin Kouyang réalisé en 1963.

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   Cette photo du film fait inévitablement penser au film réalisé par Ladislas Starewitch en 1932, Le Lion devenu vieux. Le Lion se remémore le passé et l’enlèvement de son amoureuse, la lionne, sur le dos d’un éléphant qui s’envole. Les images du Dumbo, 1941, de Disney viennent également à l’esprit.

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© Collection Martin-Starewitch

   Les relations entre ces films de 1932, 1941, 1963 posent à nouveau la question de l’imagination des réalisateurs, de leurs sources d’inspiration et d’éventuelles influences.
   On sait que l’équipe Disney visionnait de très nombreux films de toutes sortes : « Nous voyions chaque ballet, chaque film. Si un film était bon, nous le regardions cinq fois […]. Tout ce qui pouvait stimuler la croissance, être motivant : le montage des scènes, la mise en scène, comment les différentes séquences étaient regroupées… » (Souvenirs de Marc Davis (1913-2000), animateur fidèle de Disney, cité dans G. Bendazzi : Alexeïeff, itinéraire d’un maître, Dreamland éditeur, 2001, p 82.)
   C’est le lien possible entre Starewitch et Disney.
   En 1992 nous avons rencontré au Festival d’Hiroshima MOCHINAGA Tadahito qui nous a dit avoir été « incité à réaliser des films d’animation après avoir assisté à une projection de
L’Horloge magique de [de Ladislas Starewitch] avec un appareil Pathé-Baby » (Léona-Béatrice et François Martin : Ladislas Starewitch (1882-1965), le cinéma rend visibles les rêves de l'imagination. L'Harmattan, 2003, p 320). Effectivement le film La Chasse aux tigres de Chibikuro Sambo réalisé par Mochinaga en 1956 suscite l’idée d’une relation avec Zanzabelle à Paris, 1949, de Starewitch dans le style des marionnettes et de leur animation.
   « Après avoir joué un rôle décisif dans l’histoire de l’animation en Chine après-guerre, MOCHINAGA a le premier jeté les bases de la production animée de marionnettes dans son pays. Il a ainsi formé à cette technique la quasi-totalité des animateurs de l’époque, à commencer par les réalisateurs KAWAMOTO Kihachitô et OKAMOTO Tadanari » écrit Ilan Nguyên (L’animation japonaise d’auteur, in Catalogue des 10èmes Rencontres Internationales du Cinéma d’Animation de Wissembourg, 2014, p 100).

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   MOCHINAGA Tadahito pourrait bien être le lien entre Starewitch et Jin Xi ou d’autres réalisateurs chinois comme Zhang Songlin et Yu Hejing qui réalisent avec cette même technique des poupées animées The Cock Crows at Midnight en 1964.
   Cette présence et cette influence de Starewitch s’étendent à d’autres continents puisque dans des pays comme les actuels République Démocratique du Congo, le Rwanda et le Burundi (issus de l’ancien Congo belge et du Ruanda-Urundi) où tout laisse penser que les initiateurs du cinéma d’animation dans les années 1950 avaient visionné et se sont inspirés de films de L. Starewitch comme, à nouveau,
Zanzabelle à Paris (voir le livre de Guido Convents : Introduction au cinéma d’animation en République Démocratique du Congo, au Rwanda et au Burundi, Afrika Filmfestival, 2014 - http://afrikafilmfestival.be/#!/nl/media/publications - p 35.).

   Ladislas Starewitch a vécu et travaillé en Lituanie, en Russie, en France… On le voit ici présent en Chine, au Japon, en Afrique centrale…
   Nous connaissons la richesse de la géographie culturelle de Starewitch et l’absence d’au moins un de ses films lors d’un récent hommage à l’animation française pousse à approfondir cette réflexion bio-géographique.

 

   Le Festival International du Film d’Animation d’Annecy 2016 a proposé un « hommage kaléidoscopique à l’animation française » à travers le reflet que lui renvoie le monde : « L’animation française, l’effet miroir ».
   Ladislas Starewitch est bien cité dans la présentation générale de cet hommage « parmi les géants de l’avant-garde venus de l’Est et qui ont pour noms Starewitch, Alexeïeff ou Bartosch », il est cité dans la présentation du programme intitulé « Vent d’Est », comme Bogdan Zoubovitch, mais aucun de ses films n’a été proposé aux spectateurs ce qui est un peu étonnant. Un
beau programme avait été proposé en 2014 dans le focus sur l’animation de marionnettes, mais il était déjà absent de l’hommage à l’animation polonaise l’année précédente.
   Le problème ne réside pas dans l’accès aux copies puisqu’il existe des copies 35mm ou numériques (HDcam ou DCP) de près de cinquante films de Starewitch, essentiellement des films d’animation. Il semble plutôt relever d’une difficulté à situer Starewitch qui, de nationalité polonaise, a vécu dans la ville de Kovno (actuellement Kaunas) en Lituanie, alors partie de l’empire russe, de 1886 à 1911-1912 où il réalise ses premiers films, a vécu également à Moscou (de sa naissance en 1882 à 1886, puis de 1911-1912 à 1918) et en Crimée (1918-1919) avant de s’établir en France (1920-1965).
   L. Starewitch a réalisé des films dans des lieux qui aujourd’hui constituent trois pays différents : la Lituanie, la Russie et la France tout en restant de nationalité polonaise. Quatre pays peuvent ainsi le revendiquer… Et peut-être davantage ?         Certains films des années 1920 sont des hommages à des cinématographies ou des pays qui pourraient également s’intéresser à ce réalisateur : les EUA avec
Amour noir et blanc, la Chine avec Les Yeux du dragon (présenté comme un « conte chinois »), l’Allemagne avec Dans les Griffes de l’araignée.
   La formation et l’œuvre de L. Starewitch s’inscrivent dans un contexte multiculturel qui ne se limite même pas aux pays cités puisqu’il a adapté également des œuvres d’auteurs anglais ou danois par exemple, et qui se traduit très bien par cette idée d’ « homme des confins » exprimée par un autre polonais célèbre Ryszard Kapuściński :

« J’ai été formé par tout ce qui forme l’homme dit des confins. L’homme des confins est toujours et partout un homme interculturel, un homme « entre ». C’est quelqu’un qui dès l’enfance, depuis ses jeux dans la cour avec ses copains, sait que les gens sont différents et que la différence n’est qu’une particularité de l’individu… (…) L’appartenance aux confins est une ouverture sur les autres cultures, et même davantage : pour les enfants des confins, les autres cultures ne sont pas différentes de la leur, elles en font partie… »

(Cité dans : Artur Domosławski : Kapuściński, le vrai et le plus que vrai. Paris, 2011, Les Arènes, p 27. Titre original : Kapuściński,non-fiction, Varsovie 2010.)

   En effet, à Kovno, où il a vécu de l’âge de quatre ans à presque trente ans, L. Starewitch s’est trouvé, dans une famille très ouverte au centre d’influences essentiellement lituaniennes, polonaises, russes, sur un territoire où la communauté juive était très importante. C’est ce titre, « l’homme des confins » que nous avons choisi pour regrouper plusieurs films de L. Starewitch dans un programme qui témoigne de cette diversité ancrée en Europe centrale mais qui la dépasse aussi.
   La question de l’appartenance nationale devient donc secondaire, les influences culturelles et leurs mélanges dépassant largement les frontières et les nationalités. D’une façon plus générale c’est la présentation des réalisateurs (des artistes) selon le critère de la nationalité qui est discutable (dans son Répertoire des cinéastes présentés depuis 1973, le catalogue du Festival international du film de la Rochelle classe Ladislas Starewitch -
Le Roman de Renard a été présenté en 1993 avant la grande rétrospective de 2009 - en Russie…). Et même si Starewitch aurait pu, et dû sans doute, figurer dans cet hommage du festival d’Annecy 2016 à l’animation française aux côtés de d’Alexeïeff ou de Bartosch, tous deux inscrits dans un contexte précis, son absence (comme à l’hommage à l’animation polonaise dernièrement) devient le miroir de sa multiculturalité !

                                                                        François Martin, juin 2016

La présentation de cet hommage au Festival d'Annecy 2016 à l’animation française par Marcel Jean :

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Programme « Les classiques des classiques » concocté par Giannalberto Bendazzi :

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Programme « Vent d’est » concocté par Igor Prassel :

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L’ensemble des programmes du Festival d’Annecy 2016 : http://www.annecy.org/programme:fr